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Qu'est-ce que la décroissance prospère ?

Depuis la moitié du XXème siècle, la croissance économique, mesurée par le PIB, est devenue l’alpha et l'oméga de toute politique. Elle a conduit, dans un contexte de mondialisation, à une fragilisation de nos sociétés. Cette grande accélération a entraîné une augmentation sans précédent des impacts des activités humaines sur l’environnement, à l’homogénéisation des modes de vie via l’imposition de la modernité occidentale et la destruction méthodique des solidarités collectives, ainsi qu’à l’accroissement des prélèvements de ressources naturelles, sources de conflits et conduisant irrémédiablement à un état de guerre permanente.

Un changement de paradigme est nécessaire et désirable. De par la crise sociale, qui se manifeste par le creusement des inégalités, entre et au sein des pays, par l'accroissement de la précarité, par l'aliénation professionnelle et sécuritaire, par l'essentialisation et la diabolisation de l'étranger, et pour le bénéfice des classes dominantes et des pays les plus riches. De par la nouvelle ère environnementale dans laquelle nous entrons avec l'extermination de la biodiversité et le dérèglement climatique. En raison aussi du dépassement des autres limites planétaires et de la raréfaction des ressources fossiles et minières.

L’ensemble de l’humanité ne porte pas une égale responsabilité dans ces crises, au sens premier du terme, moments périlleux et décisifs. Pire encore, les populations portant la moindre responsabilité, si ce n’est l’absence, subissent souvent plus fortement ces conséquences délétères. Au centre de ce vortex, se situe le capitalisme dans son ère néolibérale finissante et consumériste, préfigurant un néomercantilisme. En son sein, les pays occidentaux ont prospéré au détriment du Sud global, l’exploitant et le pillant pour s'accaparer ses ressources, le privant d’autonomie et détruisant méthodiquement ses multitudes de modes de vie propres. Cette dynamique coloniale, raciste par essence, n’a jamais vraiment pris fin, et ce afin de garantir le mode de vie fondamentalement impérial de l’Occident.

Cette dynamique d’exploitation existe également au sein des pays, où les classes possédantes s’enrichissent au détriment de tous les autres, c'est-à-dire de celles et ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre ou trouver le moyen de survivre. L'origine et la nationalité, réelles ou supposées, sont d'autres critères de discrimination, tout comme l'orientation sexuelle et le genre, via le patriarcat. En privant les femmes de leur liberté et en invisibilisant leur travail de reproduction sociale, pourtant indispensable à l’humanité, le but est toujours le même : diviser pour mieux accumuler.
Les sources de ces maux sont nombreuses, et ont de très anciennes racines : entre autres le platonisme antique - valorisant les idées aux dépens de la réalité sensible -, le dualisme qui en découle - extrayant l’humain de la nature, et ce faisant justifiant son exploitation, ainsi que celle des femmes par les hommes -, et le positivisme - érigeant le progrès technique et scientifique en fondement de nos sociétés. Un changement ontologique et épistémologique est donc indispensable pour surmonter les défis auxquels l’humanité fait face.

Les crises écologiques et sociales s’accentuent proportionnellement aux oppressions subies et répétées sur le vivant, auquel l’humanité appartient. Soigner ces maux nécessite une approche systémique, s’attaquant aux causes plutôt qu’aux conséquences. Ce processus, synonyme d’émancipation, de libération et de joie passerait par un démantèlement des causes majeures déjà citées, l’abandon de l’aliénante accumulation matérielle et une prise d’autonomie collective. Ce chemin que nous nommons décroissance prospère serait le lieu d’expérimentations joyeuses et évolutives, d’ouvertures aux différents imaginaires et trajectoires embrassant le sens du devenir.

La décroissance prospère s’oppose aux paradigmes économiques et sociaux dominants, centrés sur la croissance et les valeurs de la modernité occidentale. Elle préconise de recentrer nos sociétés sur les besoins et désirs humains, imaginés et arbitrés démocratiquement et localement, l’économie devenant alors un moyen et non une fin en soi. La décroissance prospère se traduit dans les pays occidentaux par une réduction des matériaux et de l'énergie utilisés dans la production et la consommation afin d'aligner les activités humaines sur les limites écologiques, et de redistribuer les richesses équitablement. Elle exige que cette transformation structurelle soit conduite démocratiquement afin de faire émerger une justice écologique et une société épanouissante. La décroissance prospère revendique la libération du Sud global du joug occidental, notamment via leur dévassalisation et le paiement par les pays occidentaux de leurs dettes coloniales, écologiques et économiques. La décroissance prospère, concept historiquement occidental, se construit dans la pluriversité, et s’inscrit dans une communauté de pensée avec d’autres perspectives soeurs issues du Sud global, tels que le Buen Vivir latino-américain, l’Ubuntu et l’Ujamaa africains et l’Eco-swaraj indien.

La décroissance prospère trace un chemin pour, effectivement, tout changer. D'une part, elle offre un cadre critique, qui remet en question les structures de pouvoir, les dynamiques économiques et les normes sociales afin d'encourager la pensée critique et la libération de l’esprit. D’autre part, elle construit un mouvement social transformateur, aspirant à fédérer un ensemble d’initiatives plurielles. La décroissance prospère est donc avant tout une matrice d’alternatives, construite autour de valeurs et d’objectifs communs : l’autonomie et la démocratie, l’amour et le soin, l’égalité et la justice, la dignité et la pluralité, la durabilité et la suffisance, le bien-être et l’interdépendance, la communauté et la souveraineté. Elle a pour vocation de rendre possible la naissance de futurs multiples, pluriels, organisés autour de principes tels que la simplicité, la sobriété et la convivialité. Elle conçoit la liberté non pas comme une jouissance solitaire mais comme le pendant indissociable d’une égalité émancipatrice. Elle est portée par une critique radicale des rapports de domination, qu’ils s’exercent de l’humain sur l’humain, ou sur le non-humain.

La décroissance prospère propose un renversement fondamental de nos sociétés, une réévaluation des valeurs, une refondation de notre organisation politique, sociale et économique. Non pas dans une dynamique réactive, mais dans un élan créatif, joyeux et stimulant, redonnant aux peuples leur agentivité. Mettre la technique, l’économie, la production, la politique, au service du soin et d’une égale liberté – plutôt qu’à leur détriment. Pour ce faire, la décroissance prospère articule entre autres anticapitalisme et technocritique, décolonialité et anti-impérialisme, féminisme et théorie queer, antiracisme et indigénisme, pour une redirection écologique concrète, confédérale et biorégionale, tournée autour des Communs.

L’économie de la rareté a vécu trop longtemps, faisons advenir la décroissance prospère.

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Avec la participation de Philanoe Consulting

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