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Iana Nesterova: "La décroissance implique des transformations radicales plutôt que de simples réductions" 


Une interview avec Iana Nesterova, chercheuse spécialiste sur la décroissance et les petites entreprises, basée au Danemark. 




 

Iana Nesterova est une chercheuse en sciences sociales basée à Roskilde, au Danemark. Ses recherches, qu’elle mène depuis une dizaine d’années, portent sur les transformations post-croissantes des petites entreprises, en Angleterre (où elle a fait sa thèse), au Danemark, en Finlande et en Suède. Elle a publié de nombreux articles sur ce sujet et un livre, Degrowth, Depth and Hope in Sustainable Business. Reflections from Denmark, Finland and Sweden. Elle travaille aussi sur la conceptualisation de la décroissance, et a récemment co-publié un ouvrage sur la théorisation de la décroissance, intitulé Deep Transformations. The Theory of Degrowth (disponible en libre-accès).


Quand elle se présente, Iana ne veut pas être réduite à son travail académique, qui n’est qu’une partie de sa vie. Elle pratique le minimalisme et le zéro déchet, avec pour ambition d’unifier les théories qu’elle étudie et ses pratiques. Elle documente son mode de relation au monde et son quotidien, sur ce site absolument passionnant. 


Nous avons discuté en mai 2024, dans un petit café à Copenhague, où elle réside. Dans cet entretien, elle évoque ce qui l’anime en tant que chercheuse sur la décroissance, les découvertes qu’elle a faites sur les petites entreprises et sur la décroissance, et son rapport au monde académique.


(Click here for the English version)



Comment t'es-tu intéressée à la décroissance ? Qu'est-ce qui t'a poussé à commencer tes recherches sur ce sujet ?

 

Pour moi, c'est un parcours très personnel. Quand j'étais enfant, je vivais dans la nature, dans une zone rurale. Il y avait tellement de nature, et j'ai grandi avec elle et les non humains. Ça m'a toujours fascinée et je suis tombée amoureuse de la nature dès mon enfance. Mais c’est ma famille qui a choisi ce que j'allais étudier à l'université. J'aurais voulu étudier la psychologie ou la biologie, mais malheureusement, ils m'ont dit : tu vas étudier l'économie. Et c'était de l'économie et gestion mainstream. À l'époque, je pratiquais déjà cette sorte de connexion avec la nature, je me baladais souvent en forêt, je faisais de la cueillette, et je pratiquais la simplicité. Mais j'avais l'impression qu'il y avait un énorme décalage entre ma vision du monde et ce que j'étudiais. L'économie, la gestion, ne font qu'encourager la production et la consommation. Rien ne nous encourage à penser à la nature et aux non humains. Après la licence, j’ai fait un master au Royaume-Uni.


Ensuite, j'ai eu envie de relier ce que je faisais à mes recherches, car je savais à l'époque que j'allais entrer dans le monde universitaire. Lorsque j'ai décidé de faire un doctorat, je pratiquais déjà le zéro déchet, le minimalisme extrême et la simplicité volontaire. Je voulais que mon doctorat soit en lien avec l’économie-gestion, mais basé sur quelque chose de beaucoup plus écologique que le courant dominant. Pendant mon master, j'ai étudié l'économie comportementale et j'ai réalisé qu'il n'y avait pas qu'une seule école d'économie, mais qu'il y en avait tellement ! L'économie comportementale m'a lentement conduit à l'économie écologique, qui m’a fait découvrir la décroissance. Ça a été une telle révélation pour moi, je me suis sentie tellement heureuse et j'ai réalisé que je pouvais faire des recherches sur quelque chose qui serait beaucoup plus proche de ma vision du monde, de la façon dont je voulais vivre, de la façon dont je voulais être en relation avec le monde. Et donc, oui, c'est comme ça que je me suis lancée dans la décroissance.

 

Comment tu définis la décroissance ?

 

Je pense qu'il existe aujourd'hui de nombreuses définitions de la décroissance. Mais avec mon partenaire, qui est aussi mon co-auteur, nous voulions créer notre propre définition de la décroissance, parce que nous avions l'impression que la décroissance mettait un peu trop l'accent sur « ce qu'il faut réduire ». Il y avait ce message fort de réduction. On s’est assis et on a réfléchi à la question. Nous sommes tous deux issus d'une perspective réaliste critique de la philosophie des sciences, et du réalisme critique. Il s'agit de voir la réalité sur les quatre plans de l'être (the four planes of being) : les transactions matérielles avec la nature, les relations sociales, les structures sociales et l'être intérieur, ou notre psyché. Ça met beaucoup l'accent sur la dialectique. Nous définissons donc la décroissance comme des transformations profondes (deep transformations) qui se produisent sur les quatre plans de l'être que j'ai nommés. Il s'agit d'un changement qui doit se produire sur ces quatre plans. Elle doit également se produire simultanément dans différentes dimensions de la société. Dans la société civile, y compris les universités, l'État et les entreprises, au niveau microéconomique, mais aussi au niveau transnational. Car il n'est pas question qu'une seule entité sociale ou un seul pays devienne « décroissant », et que tout le reste soit inchangé : nous pensons que c'est impossible. Une autre partie de notre définition est que ces transformations profondes doivent être guidées par la douceur et l'attention, le care, et vers une coexistence harmonieuse entre humains et la nature, entre les humains, et entre toi-même et ton âme. Voilà donc notre définition de la décroissance.


“Nous définissons la décroissance comme des transformations profondes (deep transformations) sur quatre plans : les transactions matérielles avec la nature, les relations sociales, les structures sociales et la psyché. Ces transformations profondes doivent être guidées par la douceur, le care, et vers une coexistence harmonieuse entre l'humanité et la nature, entre les humains, et entre toi-même et ton âme.”

Et penses-tu que cette “transformation profonde” doit commencer par une transformation de l’individu ?

 

J'ai mentionné que nous venons d'une perspective réaliste critique. Le réalisme critique est une philosophie des sciences qui reconnaît à la fois l'agentivité et la structure. Parce qu'en tant que personnes, nous reproduisons ou transformons les structures sociales, et que les structures sociales renforcent ou contraignent les individus, il est très difficile de dire où cela commence vraiment. Mon partenaire et co-auteur dirait que cela commence probablement à partir des structures sociales, que quelque chose doit se produire, comme par exemple l’exposition  à une éco-communauté,  la rencontre avec une personne qui t'inspire, ou simplement la chance d'explorer quelque chose de différent. Il pense que cela vient d’abord  du système, mais pour ma part, je crois vraiment que cela part d’abord, d'une certaine manière, de l’individu. Je reconnais vraiment la structure, mais dans mon travail et dans mon enseignement, j'essaie de mettre l'accent sur l'action. Je crois beaucoup à l'action.




Parlons maintenant de tes recherches. Quelles sont les principales choses que tu étudies dans le cadre de tes recherches ?


Mes recherches s'articulent autour de trois axes principaux. Le premier, c'est de théoriser ces transformations profondes. Je viens de mentionner que c'est comme ça qu'on définit la décroissance. Ce volet, je le mène avec mon partenaire et co-auteur. Lui, il est spécialisé dans les systèmes, les politiques éco-sociales et l'économie politique. Ça veut dire qu'il s'intéresse davantage aux structures, et moi, je m'intéresse plus aux entreprises et à l'action humaine. En combinant nos perspectives, on obtient une compréhension beaucoup plus profonde de la décroissance. C'est beaucoup plus intéressant à théoriser et ça donne beaucoup à réfléchir. C'est donc le premier axe. Le deuxième axe, c'est mon étude sur les entreprises décroissantes, que je mène depuis 2016, quand j'ai commencé mon doctorat. À l'époque, je me suis demandé à quoi devraient ressembler les entreprises pour qu'une société de décroissance soit possible. Et c'est ce que je fais depuis ! Le troisième axe de ma recherche, c'est mon auto-ethnographie. Quand j'ai commencé mon doctorat sur la décroissance et l'entreprise, je pensais que l'entreprise n'était qu'une partie de la transformation nécessaire. Je pense que la décroissance est impossible sans un mode de consommation qui corresponde à la façon dont les entreprises devraient fonctionner. Je me suis dit que je voulais aussi comprendre la consommation pour la décroissance. Il m'a fallu quelques années pour réaliser que je devais vraiment formaliser l'étude de ma propre consommation, car comme je l'ai mentionné au début, je pratiquais la simplicité volontaire, le minimalisme extrême, le zéro déchet et tout ce genre de choses. Je me suis dit qu'il fallait que je m'étudie moi-même et que j'étudie mes pratiques, parce que je peux avoir une compréhension extrêmement profonde des pratiques. C'était un peu effrayant de faire cette auto-ethnographie parce que tu rends ta vie publique et tu l'ouvres au jugement des autres, mais je ne le regrette pas et j'aime vraiment ça. En fait, c’est devenu mon domaine de recherche préféré.

 


En ce qui concerne tes recherches sur les petites entreprises et la décroissance, quelles sont les principales conclusions auxquelles tu es arrivée au cours des dix dernières années ?

 

Il y a eu tellement de choses ! Je pense que les principales sont les suivantes : quand j'ai commencé à travailler dans ce domaine, j'avais une vision très naïve de l'entreprise. Je pensais que parce que la décroissance est une critique du capitalisme, aucun entrepreneur ne savait comment le capitalisme fonctionne et qu'ils seraient très critiques à l'égard de ma critique de ce système. Mais j'ai découvert qu'ils savent très bien comment fonctionne le capitalisme, ils en font l'expérience tous les jours. Beaucoup d'entre eux sont très critiques à son égard, et  font partie des mêmes mouvements sociaux que moi. J'ai rencontré beaucoup d’entrepreneurs qui sont des activistes climatiques, qui participent à Extinction Rébellion, qui pratiquent la simplicité volontaire... Ça a donc été une énorme révélation pour moi. Et quel que soit le pays, que ce soit en Angleterre, en Suède, en Finlande ou au Danemark, j'ai découvert partout la même chose sur les petites entreprises. J'ai aussi réalisé très profondément au cours de mon voyage que les entrepreneurs sont des êtres humains, qu'ils sont aussi des consommateurs et qu'ils jouent de multiples rôles dans la société. Ce sont des parents, des amis, parfois des enseignants... Je pense qu'il est très important de se rappeler que même si quelqu'un est un homme ou une femme d'affaires, un entrepreneur, un propriétaire, un manager, quel que soit le nom qu'on lui donne dans les écoles de commerce, ce sont des êtres humains comme moi, et comme n'importe qui d'autre.

 

Selon toi, quelles sont les caractéristiques d'une entreprise en décroissance ?

 

Tout d'abord, il faut que ce soit une entreprise qui produise pour répondre à des besoins. Parce qu'on peut avoir une petite entreprise qui fait tout ce qu'il faut sur le plan écologique, mais qui ne s'en préoccupe pas. Je comprends que la question des besoins soit très complexe, car quelle est la différence entre les besoins et les désirs ? Je pense aussi que la plupart des entreprises devraient opérer à petite échelle dans une société décroissante. D'une manière générale, je considère qu'une entreprise décroissante doit être attentive à la nature, y compris la nature locale, le lieu et la nature en général, c'est-à-dire les humains et les non-humains. Et qu'elle laisse de côté la recherche de la maximisation du profit. Mais j'ai découvert dans mes recherches que les petites entreprises n'essaient pas vraiment de maximiser leurs profits, et que souvent elles ne savent même pas ce que ça veut dire. Je dirais également que les personnes qui s'intéressent à la décroissance et à la sobriété, et à toutes sortes de choses liées à l'économie circulaire, seraient d'accord pour dire que ces caractéristiques sont importantes. Mais la question est maintenant de savoir comment les mettre en œuvre, comment faire de ces entreprises ne soient pas seulement des niches au sein de la société. Il faut étudier ça.

 

Et donc, comment penses-tu que cela puisse se produire ?

 

Il y a tellement de choses qui doivent se mettre en place pour que les entreprises s'engagent dans cette voie. Par exemple, des politiques éco-sociales pourraient libérer du temps pour que les gens quittent les grandes entreprises et créent leurs propres petites entreprises technologiques. Le revenu universel de base permettrait également de libérer du temps pour que les gens réfléchissent aux solutions auxquelles ils peuvent contribuer. Si quelqu'un a un hobby ou fait de l’artisanat, il pourrait en faire une entreprise. Dans le domaine de l'enseignement, je pense que le monde universitaire doit radicalement changer, car l'enseignement actuel en gestion/management est tout simplement inacceptable. Il ne contribue pas aux transformations dont nous avons besoin. Je dirais donc que les politiques éco-sociales et l'éducation sont des éléments clés pour aider les entreprises à s'engager sur cette voie.

 

Quel conseil donnerais-tu à un entrepreneur qui souhaite créer une entreprise plus orientée vers la décroissance ?

 

Tout d'abord, d'après ce que j'ai vu dans le parcours d'autres entreprises, je dirais qu'il faut commencer petit. Le problème, c'est que lorsqu'ils démarrent rapidement ou qu'ils ont de grandes ambitions, les entrepreneurs font souvent appel à des investisseurs. L'entreprise ne leur appartient alors plus vraiment, parce qu'ils ont des obligations envers d'autres parties prenantes. Cela signifie que s'ils commencent petit et travaillent avec des personnes partageant les mêmes idées, avec des amis ou de la famille, ou avec leur partenaire, cela crée un environnement beaucoup plus bienveillant où ils peuvent imaginer, trouver des idées et se demander comment s'engager sur la voie d'une durabilité forte. Ensuite, ils ne devraient pas produire quelque chose de superflu, mais répondre aux réels besoins des gens. Donc, il faut penser aux vrais besoins, commencer à petite échelle et travailler avec des personnes proches qui partagent les mêmes idées.


“Pour créer une entreprise orientée vers la décroissance, il faut penser aux vrais besoins, commencer à petite échelle et travailler avec des personnes proches qui partagent les mêmes idées.”

Es-tu optimiste quant à ces transformations profondes dans les entreprises ?

 

Oui, absolument ! Je pense que cela vient du fait que je travaille avec des petites entreprises écologiques. Elles m'inspirent énormément. Encore une fois, ce sont des entrepreneurs, mais en même temps, ils font très souvent partie de mouvements auxquels je participe également. Ils sont très motivés, ils agissent vraiment, et c'est ce que je trouve très inspirant. Je ne sais pas si je suis optimiste en ce qui concerne la décroissance... Je pense que la seule chose que nous puissions faire est de faire de notre mieux pour instaurer une société de décroissance. Quoi qu'il en soit, je ressens de l'optimisme et beaucoup de joie lorsque je travaille avec ces entreprises et que nous échangeons des informations ; elles sont toujours prêtes à apprendre davantage, à venir dans les universités et à réfléchir ensemble.

 

Dans ton domaine de recherche, l’entrepreneuriat et la décroissance, quelles sont, selon toi, les choses les plus importantes à étudier ?

 

La plupart des chercheurs se concentrent sur les politiques éco-sociales, sur le type de changement de système nécessaire, sur les raisons pour lesquelles le capitalisme est critiquable... Je pense que nous avons tellement critiqué le capitalisme et décrit ce futur décroissant et parlé de politiques éco-sociales... Ce qu'il faut étudier, ce sont ces transformations individuelles et ces auto-transformations, ce qui les contraint et ce qui les renforce. Par exemple, les étudiants me demandent souvent : « Qu’est ce qu’on peut faire ? Est-ce que la seule chose que je puisse faire est de voter pour quelqu'un, pour un meilleur parti ou quelque chose comme ça ? » Ils se sentent très démunis et sont effrayés lorsqu'ils pensent à la dégradation de l'environnement. Alors que les individus peuvent faire tellement de choses ! Ils peuvent changer leur mentalité, ils peuvent faire pression sur le système, ils peuvent faire pression sur les entreprises, ils peuvent créer des organisations alternatives et se soutenir mutuellement... J'ai le sentiment que les acteurs de la décroissance doivent accorder plus d'attention aux parcours individuels et aux pratiques individuelles, et à ce que les gens font réellement pour favoriser la décroissance. Car, oui, la décroissance est une vision de l'avenir. Mais en même temps, la décroissance se produit à très petite échelle, par exemple par le biais d'amitiés et d'organisations alternatives. Il y a tant de choses qui existent, et ces espaces doivent se développer, croître, et les gens doivent prêter plus d'attention à ce qui est bon dans la société, à la manière de développer ces espaces, à leur raison d'être, à ce qui les rend durables et à la manière dont ils interagissent les uns avec les autres. Il s'agit donc d'une sorte de pratique de la décroissance à l'heure actuelle, en ce moment même.



 

Qu'est-ce qui te plaît dans le fait d'être chercheuse sur ce sujet ?

 

J'aime travailler avec des personnes partageant les mêmes idées. Je suis extrêmement reconnaissante de cette opportunité de pouvoir travailler avec mon partenaire pour que nous puissions écrire beaucoup ensemble. J'aime travailler avec des doctorants, en particulier des doctorantes. J'aime aussi travailler avec les entreprises, ça rend très humble. J'apprécie également de faire mon auto-ethnographie parce que beaucoup de personnes me contactent et disent « oh, je peux me reconnaître », « oh, c'est tellement important », « merci beaucoup de montrer des pratiques faciles à adopter », puis ils partagent leurs expériences. Ce type d'interaction entre les mondes académique et non académique est quelque chose que j'aime beaucoup.

 

Quelle est la chose la plus difficile pour toi lorsque tu étudies les sujets liés à la décroissance ?

 

La chose la plus difficile – et je crois que cela vaut que l'on étudie la décroissance ou autre chose – ce sont les hiérarchies académiques et le fonctionnement de l'académie. Il y a aussi beaucoup de postes précaires et temporaires. Les doctorants ne sont pas sûrs de leur avenir, ils ne savent souvent pas ce qui va se passer et quand ils obtiennent un poste, ils ne savent pas s'ils vont pouvoir rester. Je trouve que l'état du monde académique n’est pas bon et est préjudiciable à l'étude de la décroissance ou de tout autre sujet.

 

As-tu un dernier message que tu aimerais transmettre à notre audience française ?

 

Pour chaque personne, je dirais que... que les gens doivent trouver des espaces alternatifs qui sont alignés avec la décroissance et les développer, non seulement individuellement mais collectivement, par exemple en travaillant avec les communautés locales. Si vous êtes dans le monde académique, mon message pour vous est de travailler avec des chercheurs en début de carrière, de travailler avec des doctorants autant que possible et d'arrêter ce culte des professeurs seniors et ce réseautage stratégique qui est si néfaste ! Les gens doivent s'unir, se soutenir les uns les autres, être beaucoup moins instrumentaux. Il devrait y avoir plus d'initiatives de travail basées sur des hiérarchies horizontales. Pour les personnes qui font de la recherche sur les entreprises en particulier, je veux leur envoyer ce message qu'elles devraient faire de l'auto-ethnographie. Parce que très souvent, on propose des choses irréalistes dans nos recherches, comme devenir des chasseurs-cueilleurs, ou que toutes les entreprises doivent cesser d'exister et se transformer totalement demain. Mais lorsque tu observes réellement tes propres pratiques et ton propre parcours, tu deviens beaucoup plus humble et tu réalises à quel point les transformations sont difficiles, mais aussi à quel point elles sont possibles.

 

Pour finir, as-tu un livre ou un film que tu aimerais recommander ?

 

Oui, j'ai deux recommandations ! La première est une auto-promotion totale, mais je pense qu'il est très important aussi de s’approprier son travail et d'en être fier d'une certaine manière ! Donc ma première recommandation est mon nouveau livre qui est sorti hier, co-écrit avec mon partenaire Hubert Buch-Hansen et notre collègue Max Koch. Le livre s'appelle « Deep Transformations : A Theory of Degrowth ». Et il est gratuit, en accès libre ! Un autre livre que je veux recommander est un livre appelé « Puissance de la douceur » et il est de la philosophe française Anne Dufourmantelle.

 


Un livre français !

 

J'ai été touchée par ce livre. J'ai tout aimé à ce sujet ! Au début de l’interview, quand tu m’as demandé la définition de la décroissance, je t'ai dit que ces transformations sur les quatre plans de l'être, elles doivent être motivées par quelque chose, et pour moi ce quelque chose est la douceur et le soin. Cette douceur, je pense, est extrêmement importante. C'est la douceur envers soi-même, envers les humains et non-humains. Ce livre est tellement bien écrit et m'a donné tant d'idées et m'a fait réaliser quelque chose sur les lieux où la douceur existe et comment c'est en réalité une force immense. Donc je le recommande vivement, car nous devons en savoir plus sur les valeurs qui doivent croître et être nourries dans une société décroissante. D'une manière générale, c’est très important que les universitaires et les militants pour la décroissance lisent bien au-delà des littératures sur la décroissance…   


Les photos sont issues du site de Iana.

Interview réalisée par Justine Buriller le 15 mai 2024 et éditée avec l’aide de Maxime Couette.





Iana Nesterova: 'Degrowth is about deep transformations rather than mere reductions'



An interview with Iana Nesterova, a Denmark-based researcher studying degrowth and small businesses. 



Iana Nesterova is a social scientist based in Roskilde, Denmark. Her research, which she has been conducting for around ten years, focuses on the post-growth transformations of small businesses in England (where she did her thesis), Denmark, Finland and Sweden. She has published numerous articles on this topic and a book called Degrowth, Depth and Hope in Sustainable Business. Reflections from Denmark, Finland and Sweden. She is also working on the conceptualisation of degrowth and has recently co-published a book entitled Deep Transformations. The Theory of Degrowth (available in open access). 


When she introduces herself, Iana doesn't want to be reduced to her academic work, which is just one part of her life. She practices minimalism and zero waste, with the ambition of unifying theory and practice. She documents her way of relating to the world and her daily life on this absolutely fascinating website


We spoke in May 2024, in a small café in Copenhagen, where she lives. In this interview, she talks about what drives her as a researcher into degrowth, the discoveries she has made about small businesses and degrowth, and her relation with the academic world.


Iana, you are a degrowth researcher. First, how did you become interested in degrowth? What was your motivation to start your research?

 

It's such a good question. For me, it was a very personal journey, because when I was a child, I lived in nature, in a rural area. And there was so much nature, and I grew up with nature and non-human beings. And I was always fascinated by that and really fell in love with nature from my childhood. But then my family, they chose what I would study at university. It would have never been my choice because I would have wanted to study psychology, or biology, but then, unfortunately, they said to me: you will study economics. And it was mainstream economics and business. And so, at that time, I already practiced this sort of nature connectedness, I went a lot into the forest and I foraged a lot. I practiced voluntary simplicity and a lot of nature-based practices. But that felt like such a huge disconnect between my worldview and what I was studying. Mainstream economics and business is all about encouraging production and consumption. There is nothing that encourages us to think about nature and non-human beings.


So I finished my first degree and my second degree was my master's in the UK. And then, I just felt like I wanted to somehow connect what I was doing with my research, because I knew at that time that I was going into academia. When I decided that I would do a PhD, by then I was already practicing zero waste, extreme minimalism and voluntary simplicity living. For my PhD, I wanted it to be about business, but something far greener than mainstream. During my master's, I was studying behavioral economics, and I realized that there is not just one school of economics, but there are so many! And behavioral economics kind of slowly led me to ecological economics, and through ecological economics, I discovered degrowth. That was such a revelation for me, I felt so happy and I realized that I could do research about something that would be far closer to my worldview, how I wanted to live, how I wanted to relate with the world. And so, yeah, that's how I got into degrowth.

 

And how would you describe what degrowth is?

 

I think that there are so many definitions now of degrowth. But with my partner, who is also my co-author, we wanted our own definition of degrowth, because we felt like degrowth focused  a bit too much on ‘what needs to be reduced’. It had this message of reduction. And so, we sat down and thought about that. Both of us come from a critical realist perspective on philosophy of science. Critical realism is about seeing reality on the four planes of being: material transactions with nature, social relations, social structures, and inner being, or our psyche. Something that it emphasizes a lot is dialectic. And so we define degrowth as deep transformations that occur on these four planes of being that I named. It is some shift, which needs to happen on these four planes of being. It needs to also happen at once in different dimensions of society. In civil society, including academia, the state, and business, and on the micro level, but also on transnational level. Because it's not so that only one social entity or one country can become “degrowth”, and then everything else stays the same: we believe that’s impossible. Another part of our definition is that these deep transformations need to be driven by gentleness and care, and towards something that is a harmonious coexistence between humanity and nature, within humanity, and between yourself and your soul. So that's our definition of Degrowth.


‘We define degrowth as deep transformations on four plans: material transactions with nature, social relations, social structures, and inner being. These deep transformations need to be driven by gentleness and care, and towards something that is a harmonious coexistence between humanity and nature, within humanity, and between yourself and your soul.’

 

And do you think that these deep transformations have to start with the individual?

 

I mentioned that we come from a critical realist perspective. Critical realism is a philosophy of science that acknowledges both agency and structure, so it's almost like a chicken and egg situation! Because as people, we reproduce or transform social structures, and social structures empower and constrain individuals, so it's very hard to tell where it actually starts. My partner and co-author, he would say that it starts probably from social structures, that something needs to happen ; for example, you are exposed to some eco-community, or you meet a person who's inspiring, or you just are given a chance to explore something different. He believes that it first  comes from the system, but for me, I really believe that it does, in some ways, start from the individual. I really recognize the structure but  in my work and in my teaching, I try to emphasize agency. I do believe in agency quite a lot.

 

Now, let’s turn to your current research: what are the main things that you are studying in your research?

 

There are three main strands in my research. One is theorizing transformations, these deep transformations. I just mentioned that's how we define degrowth. And that strand of research I'm doing together with my partner and co-author. He specializes in systems and eco-social policies and political economy. So that basically means that he's looking more into structures, and I look more into businesses and human agency. So when we bring these things together, we feel like we're getting a lot more of a deeper understanding of degrowth. It's much more interesting to theorize and it's very thought-provoking. So that's one strand. My second strand is actually the first one technically. It's my study of degrowth business and I've been doing that since 2016, that's when I started my PhD. At that time I asked myself: what business should be like for a degrowth society to be possible? And that's what I've been doing forever now! And the third strand of my research is my auto-ethnography. When I started my PhD about degrowth and business, I was thinking that business is just one part of transformation that needs to happen. I believe that degrowth business is impossible without a mode of consumption that matches how business should operate. I then thought: I want to understand consumption for degrowth as well. And it took me quite a few years to realize that I should really make my study of my own consumption formal, because as I mentioned in the beginning, I was practicing voluntary simplicity, extreme minimalism and foraging and zero waste and all these kinds of things. And I thought I should just study myself and my practices, because I can get such an extremely deep understanding of practices. It was kind of scary to do this auto-ethnography because you make your life public and open it up for judgment from others, but I don't regret it and I really love it. It's actually my favorite strand of research.

 


And so, about your research on small businesses, what would be your main findings, the most important things that you discovered over the past ten years?

 

There were so many things! I think the main ones, is when I just started dwelling in that space, when I just went into that research, I had a very naive view of business. Because degrowth is critical of capitalism, I thought that no business person would know how capitalism works, and that they would be very critical of my critique of it. But I discovered that they very well know how it works, as they experience it every single day. A lot of them are very critical of capitalism, a lot of them are also part of the same social movements that I'm part of. I met a lot of business persons who are climate activists, who are in Extinction Rebellion, and who are practitioners of voluntary simplicity…  So that was a huge revelation for me actually. And whichever country it was, because I did my research in England and then in Sweden, Finland and Denmark, and everywhere I discovered the same thing, for small businesses.  Also, I realized very deeply on my journey that business persons are human beings, and they are consumers as well, and they play multiple roles in society. They are parents, they are friends, sometimes they are teachers… I think that it's very important to remember that even though someone is a business person or an entrepreneur, owner, manager, whatever we want to label them as in business schools, they are human beings just like me, and just like anybody else.

 

 What would be the characteristics of a degrowth business according to you?

 

Firstly, it needs to be a business that produces for needs. Because you can have a small business that is doing everything there ecologically, but doesn't actually care about needs. I understand that the question of needs is so messy, because what is the difference between needs and wants? And I do believe that most businesses should be very small in a degrowth society. Generally the way I see it, is that a degrowth business is something that is caring and gentle and mindful of nature, including local nature and place and nature in general, then humans and non-humans. And that it somehow leaves behind this profit maximization striving. But then I discovered in my research that many small business persons are not really trying to maximize profits, and oftentimes don't even know what it means. So, these are simple characteristics. I would also say that people who are looking into degrowth and sufficiency, and all sorts of circular economy things, would agree that these characteristics are important. But the issue now is how to bring them about, how to make these businesses, degrowth businesses, and not just niche within society.  So it's this sort of practice.

 

And so, how do you think it can happen?

 

There are so many things that need to unfold for businesses to actually step on this path. Some things that randomly come to mind are eco-social policies that can free up time for people to actually exit large companies and set up their small and technological businesses. A Universal Basic Income would also free up time for people to think about what are the solutions they can contribute with. For example, if someone has a hobby or some sort of craft and they can make that into a business. I think also coming from our own field of academia, that academia completely needs to change because the education we offer in terms of business is just unacceptable. It's not contributing to these transformations that we need to see. So I would say that eco-social policies and education are some things that would help businesses step on this path.

 

What would be your advice for an entrepreneur that wants to have a business that is more degrowth oriented?

 

First, from what I've seen with other business journeys, I would say that they need to start small. Because the problem is that when they start big or when they have big ambitions they often involve investors. Then the business is not theirs technically, because they have some obligations or they have someone else having a say in what they need to do and how their business journey would unfold. That means that if they start small and work with like-minded persons, with friends or family, or with their partner, then it creates a much better space and environment where they cancome up with ideas and ask themselves how they can be on a genuine sustainability path.  Also they should really not produce rubbish but something that answers the needs of people, whatever it is. So at the same time thinking about answering genuine needs, starting small and working together with like-minded and close persons.


‘Key to start a degrowth-oriented business are the following principles: answering genuine needs, starting small and working together with like-minded and close persons.’

 Are you optimistic about those deep transformations in the business world?

 

Yes absolutely! I think that's coming from me working with small and ecological businesses. I feel extremely inspired by them. Again, they are business persons but at the same time they are very often part of movements that I'm part of as well. They are very motivated, they really are doing something and that's what I find very inspiring. I don't know whether I'm optimistic about degrowth… I think that the only thing we can do is to do our best to bring about a degrowth society. But anyway, I feel some optimism and a lot of joy when I work with those businesses and we exchange information, and they are always willing to learn more from me and to come to universities and to think together. They are always asking what other businesses are doing and asking for advice.

 

 In your field, what do you think are the most important things to study?

 

Quite a lot of people right now are focusing on why degrowth needs to happen. they are focusing on what eco social policies, what sort of systems change needs to happen, why capitalism is bad… I think we have so much critique of capitalism and painting this degrowth futures and talking about eco social policies… What needs to be studied are these individual transformations and self-transformations and what constraints and empowers them. For example, often students ask me : “So what can I do? Is voting for someone, some better party the only thing that I can do?” They feel very disempowered and they are scared when they think about ecological degradation. This sort of is taking power from individuals. But individuals can do so much! They can change their mindsets, they can put pressure on the system, they can put pressure on businesses, they can set up alternative organizations and support each other… I feel that people in degrowth need to pay more attention to individual journeys and individual practices, and what actually people are doing to bring about degrowth. Because, yes, for sure, degrowth is a vision of the future, and it's something that we want. But at the same time, degrowth is happening in very micro ways, for example through friendships and love and alternative organizations. There is so much that exists, and these spaces need to grow. People need to pay more attention to what is good and already exists within society, and think about how to grow these spaces,why they exist,what makes them sustainable and how they interact with each other. So the kind of practice of degrowth right now, at this moment.


 

What do you enjoy about being a researcher on this topic?

 

I enjoy working with like-minded people. I'm extremely grateful for this opportunity that I can work with my partner so we can write a lot together. I enjoy working with PhD students, specifically women female PhD students. I enjoy working with businesses as well and it's very humbling. Also I enjoy when I do my autoethnography because a lot of people reach out and say “oh I can relate”, “oh this is so important”, “thank you so much for showing what practices we can do”, and then they share their experiences. I feel this kind of academia and outside of academia worlds, this kind of interaction between these worlds, is something I enjoy a lot.

 

What do you think is the most difficult for you when you are studying degrowth topics?

 

The most difficult thing – and I believe that it's no matter if you study degrowth or something else –  is academic hierarchies and how academia works. Also, there are a lot of precarious positions and temporary positions. PhDs students are unsure about their future, they often don't know what's going to happen and when they get some sort of position they don't know if they are going to stay. I think that the state of academia is not good and is detrimental to the study of degrowth or whatever topic it is.  

 

Do you have a final message that you would like to convey to our French audience?

 

If they are in academia, my message to them is work with early career researchers, work with female PhD students as much as possible and stop this worship of professors and this strategic networking, that is so detrimental! People need to unite, they need to support each other, they need to be a lot less utilitarian and exploitative. There needs to be a lot of this bottom up and flat hierarchy-based initiatives in working together. More generally, for every human being I would say that… that people need to find the spaces that are alternative and that are in line and conducive to degrowth and then, they need to grow them, not just individually but collectively: work with local communities, find the spaces. Yes, that's my message! To persons who research businesses specifically, I want to send this message to them that they should do autoethnography. Because quite often, we propose something extremely unrealistic in our research, that we need to become hunter-gatherers, or all businesses need to cease to exist and need to become something different tomorrow. But when you actually watch your own practices and your own journey, then you become a lot more humble and realize how difficult transformations actually are, but also, how possible they are.  

 

Do you have a book or a film that you would like to recommend?

 

Yes I have two things to recommend! First one is shameless self-promotion, but I think it's very important also to own your work and be proud of it in some way! So my first recommendation is my new book that came out yesterday, it's co-authored with my partner Hubert Buch-Hansen and with our colleague Max Koch. The book is called “Deep Transformations. The Theory of Degrowth”. And it's free, it's open access! Another book that I want to recommend is a book called The Power of Gentleness and it's by French philosopher Anne Dufourmantelle.


 

A French book!

 

I was touched by that book. I loved everything about it! Just in the very beginning, when you asked about the definition of degrowth, I said that these transformations on the four planes of being, they need to be driven by something and for me this something is gentleness and care. This gentleness I think is extremely important. It is gentleness towards yourself, towards human and non-human beings. This book is so gently written and it gave me so many ideas and made me realize something about the spaces where gentleness exists and how actually it is a huge strength. So I highly recommend it, because we need to learn more about values that need to grow and be nurtured in a degrowth society. Generally, it's so important that degrowth academics and degrowth activists read far beyond degrowth literature themselves.  



The photos are taken from Iana's website.

Interview conducted by Justine Buriller on 15 May 2024 and edited with the help of Maxime Couette.


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