top of page

Pour sortir du technosolutionnisme


La naissance de sociétés fondées sur l’idée de croissance économique a été permise par l’émergence d’un rapport technique au monde. L’homme moderne se comprend lui-même comme maître et possesseur de la nature. Cette dernière en est réduite à une chose quantifiable, déterminable, calculable et utilisable dans un processus de production. L’environnement est une vaste machine que l’homme technicien peut démonter et remonter, instrumentaliser et user à loisir. Cette idéologie de la technique toute puissante, ce technosolutionnisme aveugle, est à la racine de la surexploitation de l’environnement caractéristique des sociétés de croissance. Elle est encore terriblement destructrice actuellement, et ce à double titre. Premièrement, elle entretient l’idée absurde que la crise écologique est résoluble par la technique. Deuxièmement, elle masque la nécessité urgente d’un changement socio-politique radical.




La prise de conscience des enjeux écologiques est bien réelle. 82% des français souhaitent par exemple des changements rapides et profonds pour les affronter. Cependant, une dangereuse idéologie très répandue empêche la bonne appréhension de ce problème majeur. Elle répand l’idée que la réponse à la catastrophe environnementale en cours sera technique ou ne sera pas. Les défenseurs de cette thèse arguent que, comme dans un film de science-fiction, une humanité du futur, détentrice de technologies rédemptrices émergera, et qu’elle sera capables de sauver la planète à grands coups d’éoliennes et de voitures électriques. Cette conception majoritaire des potentialités de la technique se caractérise donc par un optimisme béat. Toute problématique contemporaine serait soluble, maintenant ou plus tard, par la technique. Rien n'est plus faux : la réponse au défi écologique ne peut pas être que technique.



La première raison expliquant cette impossibilité est d’ordre physique. Le processus de développement, de production ou d’installation de n’importe quel outil technique nécessite des apports en matière et en énergie dont les réserves terrestres sont finies. En s’appuyant sur la loi d’entropie, le célèbre économiste et physicien Nicholas Georgescu-Roegen conclut qu’à long terme, l’activité productive humaine est vouée à la décroissance. La voiture électrique, souvent décrite comme le parangon de la transition écologique et l’alternative verte à ses cousines à essence, en est un bon exemple. La construction de ses batteries nécessite l’extraction d’énormément de lithium, un minerai rare dont l’offre finira nécessairement par devenir insuffisante. Même les technologies les plus « propres » ont donc une empreinte énergétique et matérielle importante qui ne pourra pas être éternellement soutenue.


La deuxième raison expliquant l’impuissance de la technique est d’ordre social. Un exemple simple permet de le montrer. Les développements technologiques récents dans le secteur automobile ont permis d’améliorer considérablement le rendement énergétique des voitures. Les moteurs sont de plus en plus efficaces, et se rapprochent de leur limite de rendement théorique. Cependant, les émissions par voiture n’ont fait qu’augmenter au cours de la même période. La raison ? Tant qu’il y en a sous la pédale, on écrase. Autrement dit, les gains de rendement sont compensés par l’augmentation de l’usage. Cela s’appelle l’effet rebond. Par conséquent, l’efficacité énergétique est un outil certes puissant mais limité. La performance de ce levier technique est totalement dépendante des normes sociales de consommation et d’usage.



Par ailleurs, la foi dans la toute-puissance de la technologie empêche la prise de conscience de la nécessité urgente d’une transformation socio-économique de nos pays. Dans son ouvrage “pour tout résoudre, cliquer ici” le penseur américain Morozov définit le technosolutionnisme comme une idéologie transformant toutes les problématiques humaines en question technique, soluble par elle. Par exemple, la problématique de l’abstention électorale est souvent traitée sous un angle technique via un débat sur la pertinence du vote en ligne. En conséquence, les causes véritables ayant présidé à l’émergence d’un phénomène donné sont oubliées et les réponses avancées inadaptées. L’abstentionnisme est d’abord un problème politique et social (manque de foi dans l’action politique, abandon de certains territoires par la force publique), il ne sera donc pas résolu par la technique.



Le même raisonnement s’applique à la crise environnementale. Comme le disait symptomatiquement le polémiste et candidat à la présidentielle Eric Zemmour lors de son débat face à Jean-Luc Mélenchon : “la crise écologique est un problème technique qu’on résoudra par la technique”. Or, la catastrophe écologique ne fait pas que questionner notre rapport à la technique, elle interroge surtout notre modèle social, politique et économique. Il ne suffira pas d’envoyer du soufre dans l’atmosphère ou de stocker du carbone pour arrêter le réchauffement climatique, comme le pensent les partisans de la géoingénierie. Il faudra reconsidérer radicalement notre rapport à la consommation, à la production, au bonheur, à la valeur. Cette nécessité est totalement occultée par l’idéologie technosolutionniste.


Plus largement et peut être plus dangereusement encore, la technique n’est pas qu’un simple outil, elle transforme notre rapport au réel. Sous son emprise, le monde est considéré comme une machine au fonctionnement quantifiable, calculable, anticipable et maîtrisable. La planète est réduite à son utilité. Il s’agit donc d’une vision du monde univoque, pauvre et désenchantée. En se généralisant, elle décrédibilise les rapports au monde poétiques, affectifs, spirituels ou artistiques. In fine, l’homme aliéné est transformé en triste technicien exploitant d’une vaste usine à gaz. Il perd toute prétention au bonheur et s’enferme dans une idéologie mortifère.


Alter Kapitae s’engage donc contre l’illusion du technosolutionnisme et ses ret cherche à promouvoir d’autres visions de la technique compatibles avec un monde en décroissance.





bottom of page